Les Maltais de Tunisie

Résidence générale de la république française à Tunis
Direction des affaires politiques et commerciales - Afrique
N° 124
Du Résident général de la république française à Tunis à Monsieur Briand, président du Conseil, ministre des affaires étrangères.

Tunis le 11 février 1921

Objet : les Maltais de Tunisie

D'après la loi anglaise, sont anglais ou sujet anglais aux yeux des autorités britanniques, les individus nés sur le sol anglais. Sont également anglais les gens qui étant fils des précédents ont vu le jour à l'étranger. Mais les enfants de ces deniers ne sont plus anglais s'ils naissent eux-mêmes hors du territoire du Royaume-Uni. À la troisième génération, le "jus soli " l'emporte sur le " jus sanguinis ".

En Tunisie, pays de Capitations avant 1881, comme dans les autres Etats musulmans, à défaut de stipulations expresses, l'usage voulait que les Chrétiens gardassent indéfiniment leur nationalité d'origine, ce qui était aisé puisque le caractère religieux de ces Etats n'admettait pas que les infidèles y fussent accueillis comme partie intégrante de la communauté. Cette situation a duré, en fait, jusqu'aux conventions de 1896 et de 1897, avec l'Italie et l'Angleterre qui abrogèrent implicitement les Capitulations.

Si l'antique coutume dont il est parlé plus haut est fortement battue en brèche en orient, le cas est tout autre pour la Tunisie depuis le décret beylical du 19 juin 1914 sur la nationalité tunisienne. Le texte de ce décret, en ne distinguant pas entre chrétiens et musulmans, répudie indirectement l'ancien usage d'après lequel un Chrétien en Tunisie ne pouvait appartenir qu'à une puissance chrétienne. Un Chrétien domicilié dans la régence et qui, pour une raison ou pour une autre, perdrait sa nationalité d'origine, deviendrait donc tunisien. C'est précisément le cas des Maltais établis dans le pays depuis trois générations. Ceux-ci ne seraient, en effet, prorogés dans leur qualité de sujets anglais que si des traités de convention liant le gouvernement tunisien (article 1er du décret du 19 juin 1914) le leur garantissait.

Or d'après l'article 1er de la convention du 18 septembre 1897, promulguée en Tunisie par décret du 18 octobre : " le gouvernement de sa Majesté britannique s'abstiendra de réclamer pour ses consuls, ses ressortissants et ses établissements en Tunisie d'autres droits et privilèges que ceux qui lui sont acquis en France ". En outre, l'arrangement de 1919 applicable à la régence par le décret beylical du 19 décembre, a reproduit le texte précédent et ajouté : " il est, bien entendu, que le traitement reconnu en Tunisie aux sujets ou protégés du Royaume-Uni ne comprend pas le traitement français. "

Appliquées à la question des Maltais, les conventions précitées n'expriment en somme que le gouvernement anglais s'abstiendra de réclamer en Tunisie pour les Maltais d'autres droits et privilèges que ceux dont ils jouissent en France. Il s'abstiendra donc de revendiquer pour eux la conservation perpétuelle de leur nationalité et il ne formulera aucune observation si , conformément à ce qui a eu lieu en France, les Maltais nés en Tunisie de parents qui y sont nés eux-mêmes cessent " ipso facto " d'être anglais. Dès lors, depuis le 19 juin 1914, il suffit pour qu'ils deviennent Tunisiens, que le gouvernement beylical les traite en conséquence puisque les conventions qui les lient l'autorisent à considérer ces Maltais sous le même angle que le Gouvernement français les regarde en France.

Mais les Maltais, devenus tunisiens, ne pourraient évidemment devenir justiciables des tribunaux tunisiens ni voir leur statut personnel confié aux magistrats religieux du pays. Une conséquence de la fin du deuxième alinéa de l'article 1er de la convention franco-anglaise citée plus haut est que les ressortissants de la Grande-Bretagne habitant la Régence sont fondés à réclamer les droits et privilèges acquis à ceux qui résident en France. Or, au point de vue nationalité, le droit qu'ont en France les sujets anglais n'est pas de devenir tunisiens, mais bien de devenir français. Les Maltais qui vivent en Tunisie depuis trois générations et qui, par conséquent, ont cessé d'être anglais (ce qui est admis du reste, par le Consulat Général d'Angleterre à Tunis qui refuse de les reconnaître comme sujets britannique) sont donc français de " plano ".

Cette thèse soutenue dans le numéro de janvier dernier du Bulletin de l'Afrique française, ne paraît pas discutable. Elle est aussi indiquée, mais moins nettement, dans un numéro de l'année dernière de la revue italienne " Politica ". Si tel était l'avis de Votre excellence, il n'y aurait donc plus qu'à faire inscrire sur les registres des Français des Contrôles civils, tous les Maltais qui se trouvaient dans ces conditions. Il va de soi que l'on n'inscrirait sur les tableaux annuels de recrutement que les jeunes gens au fur et à mesure qu'ils atteindraient l'âge du service militaire.

Je sais de source confidentielle que M. Sarell, Consul général d'Angleterre à Tunis, qui admet parfaitement que les Maltais de la Régence ne sont plus sujets britanniques à la troisième génération et refuse de s'occuper d'eux, le cas échéant, se proposerait pour essayer d'échapper à cette conséquence, de demander à son Gouvernement d'envisager la possibilité d'une loi spéciale qui maintiendrait indéfiniment les Maltais dans leur qualité. Bien que la chose ne semble guère possible, puisqu'elle est contraire à la convention franco-anglaise, j'ai cru devoir vous le signaler.

J'ajoute qu'il y aurait le plus grand intérêt à régler de suite la situation des Maltais de la régence dans le sens indiqué plus haut pour pouvoir s'en prévaloir dans les négociations avec l'Italie au sujet du renouvellement des Conventions de 1896. Cela permettrait plus facilement d'obtenir de l'Italie l'instauration d'un état de choses analogue en ce qui concerne les Italiens de la régence.

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