Société des Nations
Cour permanente de Justice Internationale
CONTERSTATION
Élevée
PAR LE GOUVERNEMENT DE SA MAJESTÉ BRITANNIQUE
Au sujet
DES DÉCRETS
Promulgués
À TUNIS ET AU MAROC
Le 8 novembre 1921
 
MÉMOIRE
Présenté au nom du Gouvernement
DE LA RÉPUBLIQUE française

Position de la question

Appelée par les traités du 12 mai 1881 et du 8 juin 1883 dans la régence de Tunis et du 30 mars 1913 dans la zone Française de l'Empire Chérifien à les guider l'une et l'autre dans les voies de la civilisation et du progrès ; la France tenait de cette mission le devoir de les aider à prendre, sur l'assiette du territoire, la base ferme d'une population homogène, cohérente, attachée au prince, Bey ou Sultan, par un lien direct, en éveillant, dans ces Etats, tout pénétrés des principes d'une civilisation théocratique, l'idée indépendante, libre, plus durable et plus forte, d'une nationalité qui, dégagée de toutes contingences religieuses, évoluerait dans le cadre élargi des conceptions occidentales.

À la différence des États de civilisation chrétienne, où le lien politique est distinct du lien religieux, les pays musulmans n'avaient encore, au XIXe siècle, aucune idée de la nationalité telle que l'entend le droit public européen. La doctrine de l'Islam considère le monde musulman comme une unité religieuse, politique et sociale, placée sous l'autorité d'un chef suprême, l'Imam, successeur du Prophète ou Khalifa et obéissent à une seule et même loi, la loi islamique (Châra). Les fidèles sont tous frères, membres d'une seule grande famille (Coran, chap III, vers 97, 98, 100 et 101 ; chap XLIX, vers 10). Dès lors, pas plus qu'il n'existe dans le monde musulman d'États autonomes, il n'existe, au sens occidental, de nationalité propre à chacun des États qui le composent en face des chrétiens avec lesquels ils sont en guerre perpétuelle, de sorte que leur paix avec eux n'est jamais une trêve. Les Musulmans ne forment, sous les lieutenants du Prophète, qu'une Nation et qu'un nationalité. Seule la résidence du Musulman le rend sujet du prince mahométan chez lequel il réside ;, mais, sitôt passé dans un autre État, il cesse de dépendre du précédent : la nationalité n'est pas continue.

En Tunisie et au Maroc, cette conception domine, même quand le Bey, d'une part, le Sultan de l'autre se proclament, l'un et l'autre politiquement, et le second, même religieusement, indépendant du Sultan de Constantinople.

En Tunisie, La Régence édicte, le 26 avril 1861, une Constitution politique qui , dans une certaine mesure, s'approche déjà des idées européennes. Mais le droit public tunisien considère comme sujets soumis à ces lois et à ces juges tous les Musulmans résidant en Tunisie. Les Ottomans, les Marocains sont compris dans cette loi qui reflète encore l'ancienne doctrine d'après laquelle, entre États Musulmans , il n'y a d'autres sources de démarcation pour l'allégeance des mahométans que leurs résidences sur tel ou tel point du territoire de l'Islam.

Mais une fois constitué le Protectorat de la France, les principes anciens devaient évoluer.

C'est en effet, le devoir du Protecteur d'amener progressivement le Protégé aux conceptions de la civilisation moderne et, dès lors, à l'affermissement du concept de la nationalité, base et substance de l'indépendance de l'État.

À mesure que , sous l'influence française, la Tunisie se développe et, par sa prospérité, sollicite une immigration de plus en plus nombreuse, il devient nécessaire d'en fixer les éléments d'une manière définitive, dans le cadre de la nationalité moderne, telle qu'elle est comprise par le droit public européen.

Dans cet esprit, le Protecteur invite le Bey de Tunis à prendre, le 19 juin 1914, sur la nationalité tunisienne (…)

Ce texte écarte l'ancienne doctrine d'après laquelle le Musulman, en passant d'un pays mahométan dans un autre, change immédiatement d'allégeance. Désormais, que l'individu soit né en Tunisie ou à l'étranger d'un père tunisien, ou, si le père est inconnu, d'une mère tunisienne, il est tunisien et , dès lors, soumis à la protection diplomatique française, sui, sans cette continuité de la nationalité tunisienne au dehors, n'aurait, sur les indigènes, que peu d'occasions de se manifester, mais qui, grâce à l'exercice de cette protection, prend consistance, non seulement en pays européen, mais même en pays de capitulations et, face à l'Islam, ne craint pas, pour la première fois, de s'affirmer, ce qui donne à l'indépendance de la Tunisie, au regard de l'Empire Ottoman, sous Protectorat Français, toute sa valeur.(…)

Jadis fondé sur la force, toute féodale, de l'autorité territoriale, qui prenait l'homme sur la terre comme un fruit du sol, la nationalité " jure soli " se base aujourd'hui sur l'idée, toute d'équité, de la juste récompense des services rendus. Vivant sur le territoire d'un État d'Europe ou d'Amérique, l'étranger, qui y naît, puis y passe son enfance, bénéficie dans sa protection, sa prospérité, son confort, de frais, de dépenses, de sacrifices, qui sont le prix, souvent élevés, de la conservation, dans l'indépendance des civilisations supérieures. S'il en est ainsi dans les États d'Europe ou d'Amérique, où le Souverain territorial peut justement demander à l'étranger né sur le sol, sinon à la première, tout au moins à la seconde génération, de prendre sa part complète des charges de la communauté politique, à plus forte raison doit-il en être de même dans un pays neuf, où, sous l'influence d'un civilisation supérieure, la voie s'ouvre à la prospérité. Pour faire prévaloir sa nationalité sur celle des États étrangers, l'État Protecteur peut, sans même attendre que ces nationalités étrangères abdiquent, leur opposer la sienne au titre des services effectivement rendus.

Statistiques Officielles réunies entre 1881 et 1921

Nationalité

1881

1886

1891

1896

1901

1906

1911

1921

Français

708

3500

9973

16207

24201

34610

46044

54476

Italiens

11206

16763

21016

55572

71600

81156

88082

84799

Maltais

7000

9000

11306

10249

12056

10330

11300

13500

Autres

 

 

 

 

3244

2799

3050

3327

(discussions)


Conclusion

Plaise à la cour

Dire et Déclarer :

  1. Que la Grande-Bretagne n'est pas redevable à fonder une réclamation sur l'acte législatif d'un Pays Souverain, une action de cette nature ne pouvant viser que le cas particulier d'un des ressortissants intéressés et réclamant ;
  2. Que le droit de légiférer sur la nationalité des personnes dans les limites de la juridiction d'un État dépend, exclusivement de la souveraineté de cet État et, par suite, échappe à la compétence de la Société des nations ;
  3. Qu'en aucun cas il n'est permis à un État, en attirant un autre État devant le Conseil de la Société des Nations, de faire, au nom du " jus sanguinis " échec à la législation " jure soli " de l'État sous l'autorité duquel l'intéressé se trouve ;
  4. Que cette double règle, et par suite cette double exception, s'applique également, dans les Pays de Protectorat, aux individus nationalisés par l'État du territoire et revendiqués immédiatement, sur place, par l'État protecteur ;
  5. Que d'ailleurs, aucun traité particulier ne permet à la Grande-Bretagne d'échapper à l'application des principes généraux de droit, ni en Tunisie, du chef de la Convention franco-italienne du 28 septembre 1896, ni au Maroc du chef d'une exterritorialité par elle maintenue contre tout droit et toute équité ;
  6. Que par suite, le Conseil de la Société des Nations est incompétent pour statuer que le différend au sujet duquel il a demandé l'avis de la Cour permanente de Justice Internationale.

Paris le 24 novembre 1922


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